C’est un vrai petit bijou vidéoludique qui nous arrive de l’Est, et pour être plus exact, fruit de la coopération de talentueux moddeurs (des passionnés modifiant un ludiciel pour le rendre plus réaliste et/ou attractif) Ukrainiens et de programmeurs indépendants Turcs. Traitant d’une période, le XVIIème siècle, et d’un espace géographique, l’Europe Orientale, trop rarement visités par ce genre de programme.
La genèse du projet
L’éditeur et développeur Turc Taleworlds est principalement connu pour avoir sorti un ludiciel axé sur un monde imaginaire médiéval, Mount & Blade. Imaginaire en bémol car le monde demeurait fort réaliste, ne sombrant aucunement dans un quelconque aspect d’heroic-fantasy, il se voulait sérieux dans son approche des combats et seules la carte ainsi que les factions (inspirées toutefois très fortement de civilisations historiques) étaient des créations artistiques. D’implications au départ tactiques, il était possible d’avoir des actions sur le plan stratégique et d’interagir avec les éléments du monde en cours (qui continuait à vivre même si vous aviez décidé de ne rien faire) : un élément qui donnait l’envie au joueur de progresser et d’accumuler renommée et expérience.
Le succès fut rapidement au rendez-vous (moindre réception en France où il ne bénéficia pas d’une traduction locale) , grâce à un rendu des batailles particulièrement époustouflant, et des sièges de fortifications tout aussi impressionnants. Appréciation positive relayée en outre par une ergonomie très intuitive ne réclamant pas la greffe de doigts supplémentaires pour manipuler plusieurs combinaisons du clavier simultanément : une souris et quelques touches mémorisées suffisant. En outre, et c’est là qu’interviennent les moddeurs Ukrainiens, il était permis et encouragé de développer ses propres modules annexes (d’aucuns créant de toutes pièces une nouvelle campagne plus historique, d’autres autorisant des réglages non disponibles dans le menu de base, tout comme des améliorations sur le plan technique voire même des mécanismes de jeu tel un module de diplomatie avancé).
C’est bien ici qu’entre en scène le groupe Sitch (ou СiЧЪ en ukrainien) qui désira employer le moteur du jeu pour retranscrire l’immense fresque historique du grand dramaturge Polonais Henryk Sienkiewicz : Par le fer et par le feu (Ogniem i Mieczem) que j’avais évoqué incidemment lors d’un précédent article. Le résultat fut si probant que le studio Turc allait s’en souvenir, mais pour l’heure il avait d’autres préoccupations…
Offrir une suite à Mount & Blade, très attendue, et par ses améliorations ne déçut guère les aficionados de plus en plus nombreux. En complément d’une carte agrandie comme embellie avec l’introduction d’une nouvelle faction (apparentée au sarrasins de l’époque médiévale), le rendu visuel fut élevé de manière significative, les animations renforcées pour plus de réalisme encore, le commerce rendu plus lucratif et diversifié, la diplomatie mieux aboutie avec l’implémentation de rapports féodaux plus complexes. L’ajout de d’un mode multijoueur tant réclamé par la communauté acheva de faire de Mount & Blade Warband un succès incontesté.
Les développeurs prirent soin d’améliorer sans cesse le produit par la sortie régulière de patchs (ou rustines logicielles) afin d’éradiquer les bogues mais aussi d’y adjoindre de nouvelles fonctionnalités ou améliorations techniques. Très à l’écoute de la communauté, l’avantage d’être un studio indépendant, les développeurs aboutirent à un résultat époustouflant et immersif recevant en toute logique les louanges de la critique professionnelle.
L’Europe de l’Est déchirée du XVIIème siècle :
À la moitié du XVIIème siècle, l’Europe de l’Ouest sort à peine de la terrible et ruineuse guerre de trente ans (1618-1648) tandis que l’Europe de l’Est s’apprête, elle, à prendre les armes pour une succession de batailles toutes aussi dévastatrices sur les terres où elles se dérouleront.
La mèche du conflit oriental s’allumera en 1648 par le soulèvement de Khmelnytsky pour ne se terminer qu’en 1667 avec la paix d’Androussovo. Le conflit fut si violent et dispendieux en ressources économiques, matérielles et humaines que deux des belligérants principaux, la République des Deux Nations (composée du Royaume de Pologne et du Duché de Lituanie) et le Tsarat de Russie, allaient le reconduire en 1686 par le traité dit de Paix Éternelle.
Intéressé par le sujet, bien que risqué pour ses clients occidentaux peu au fait de ce théatre d’opérations et de la période, l’éditeur Taleworlds allait reprendre le mod original et lui donner une consistance inégalée en employant la base technique la plus récente à disposition : celle de Mount & Blade Warband. Le tout en y apportant quelques améliorations diverses allant de l’optimisation du moteur à l’introduction d’effets spéciaux, ce dont nul ne saurait se plaindre.
C’est ainsi que des environnements très réussis et variés (Königsberg n’offrant pas la même vue de bâtiments civils et religieux qu’à Moscou par exemple) cotoient des uniformes et des armes d’époque (exemple des bardiches des streltsys Russes ou des fameuses cuirasses ailées des hussards Polonais). L’aspect historique ayant été particulièrement travaillé, de sorte à plonger efficacement le joueur dans un maelström d’intrigues et de survie politique pour le camp qu’il pourrait choisir. À ce titre, le choix qui sera opéré à un moment du récit conditionnera la fin offerte : sur cinq nations historiques présentes, seules trois offriront une histoire avec une fin adaptée (Pologne, Russie et Cosaques Zaporogues).
Les noms des souverains, nobles et gouverneurs sont identiques à ceux de la réalité, ainsi que leur localisation habituelle (hors campagne militaire ou captivité il va de soi), renforçant d’autant plus la participation à une simulation historique.
La liberté est grisante de se mouvoir dans un tel environnement, et d’y participer à un dégré ne dépendant que de votre talent militaire et opportunisme politique.
Fait marquant dans ce ludiciel, la rencontre et la « location » de mercenaires locaux (Tatars de Crimée par exemple) ou étrangers (mousquetaires Écossais) dans les tavernes ou camps spécifiques.
Autre élément d’importance : les armes à feu, lentes à recharger et de précision moindre que les arcs, rendent néanmoins les armures quasiment obsolètes (ou à tout le moins fortes encombrantes pour une protection efficace). A préciser que la fumée dégagée par les salves à répétition peut autant gêner les tireurs que la formation adverse.
Le passionné d’Histoire revivra le potop szwedzki, ou « déluge Suédois » qui est considéré par les Polonais comme le début de leur perte d’influence en Europe, car bien qu’ils aient réussi à juguler plusieurs forces d’invasion (Suédois, Moscovites, Cosaques, Transylvaniens et Brandebourgeois), ces derniers en sortiront exsangues jusqu’à l’avènement de Jean III Sobieski (1629-1696), souverain qui lutta victorieusement contre les Turcs Ottomans et signa le traité de Paix Éternelle avec la Russie.
Historiquement, la Suède déclarée grand vainqueur du conflit affrontera quelques décennies plus tard l’autre grand bénéficiaire de ces longues années de lutte : la Russie. Mais ceci est déjà une autre histoire… Bien qu’il ne soit pas impossible qu’un module créé par des amateurs puisse permettre de prolonger l’expérience sur Fire & Sword et assister au fracas des armes entre Charles XII et Pierre le Grand. A surveiller ces prochains temps.
Du bel oeuvre, soigné et très porté sur les détails malgré quelques regrets (les murs invisibles qui empêchent de parcourir l’intégralité d’une ville ; des menus qui auraient pu bénéficier d’une interface moins spartiate ; la limitation un peu ridicule et arbitraire du nombre de troupes présentes simultanément sur un seul espace de bataille ; l’absence assez déconcertante de l’artillerie notamment lors des sièges bien qu’il soit possible de saper les enceintes). A contrario les récentes corrections ont permis d’élaguer nombre de bogues, de rebalancer l’équilibre de certains paramètres et d’intégrer de nouvelles formations tactiques.
Pour une douzaine d’euros, le passionné d’Histoire du XVIIème siècle pourra difficilement faire la fine bouche, bien que le registre soit différent d’un Europa Universalis, moins grand stratégique, il n’en permet pas moins de se fondre dans un univers géopolitique virtuel cohérent, mouvant… et létal.
Bandes-annonces officielles de With Fire & Sword :
Article sur les streltsy : Wikipédia
Article sur les cosaques Zaporogues : Wikipédia (en français)
Article sur les hussards Polonais : Wikipédia (en anglais)
Et quelques métrages pour se remettre dans l’ambiance de l’époque :
Pan Wołodyjowski de Jerzy Hoffman qui est une vieille connaissance puisque nous lui devons aussi Stara baśń.
1612 de Vladimir Khotinenko :
Cet article est repris du site http://alliancegeostrategique.org/2...