Abbé Nicolas Bado, né le 11 /07/1933, ordonné prêtre le 8 septembre 1962, 2e prêtre de Réo et 4e de Koudougou
"Je n’ai pas connu Maurice Yaméogo de façon intime mais ce que je retiens de cet homme est qu’en 1962, année de mon ordination presbytérale, il venait dans sa villa à étage à Koudougou et à la messe à la cathédrale. Mais avant cette date, c’est sa fille Placide qui était dans un collège à Neuilly en France qui s’est mise à correspondre avec moi quand j’étais grand séminariste. Et quand j’ai été ordonné, elle est venue à mon ordination mais elle n’a pas attendu jusqu’à la fin de la cérémonie parce qu’elle la trouvait sans doute longue. Je l’ai revue 4 ans après de façon dramatique. Elle venait de mourir à l’hôpital américain de Neuilly tandis j’étais aux études à l’Institut catholique de Paris. C’est là qu’il m’a été demandé de bénir le corps avant le transfert en Haute-Volta.
Pour Maurice lui-même, ce qui m’a frappé, c’est quand il venait à la messe dominicale à la cathédrale et nous prêtres, on aurait voulu lui donner la place qui lui convient, celle d’un président. Mais il ne le voulait pas. Il préférait rester sur les banquettes avec ses frères. Il vivait simplement sa foi et était aussi très sympathique avec les prêtres. C’était un homme qui avait refusé la violence car il n’était pas prêt à faire verser le sang. Ce qui explique un peu ce respect de la vie de l’homme au moment où il a été renversé. Il n’a pas insisté pour que l’armée réplique. Maurice n’était ni violent, ni quelqu’un de faux. Je peux dire que sa foi chrétienne et son éducation de séminariste faisaient qu’il y avait des pratiques auxquelles il ne participait pas. Pour moi, c’est un homme qui avait aimé son pays. Le grand apport de Maurice est qu’il a donné aux Burkinabè l’idée de patriotisme. On s’est senti sous les quelques années de son règne comme un dans la même patrie. L’unité affective, le sentiment d’être Voltaïque a existé profondément chez Maurice. Le 5 août 1961, j’étais en probation et en même temps professeur au petit séminaire Notre dame d’Afrique de Koudougou. Les enfants se sont mis à chanter l’hymne Voltaïque (Fière Volta). Il y avait au séminaire 4 groupes ethniques (Moosi, Gourounsi, Samo et Bwaba). Je me rappelle encore, quand j’ai vu ces élèves entonner l’hymne avec enthousiasme. Ce jour, je me suis dis que notre pays était sauvé."
Yamba Désiré Yaméogo, cousin de Maurice Yaméogo et petit frère de Dénis Yaméogo, administrateur civil à la retraite depuis 1996, ancien maire de Tanghin Dassouri et ex-premier adjoint au maire de Koudougou "Maurice et nous avons un même arrière-grand-père Gnogwendé, qui a eu 75 fils. Maurice était jumeau avec sa sœur jumelle (Nawalagmba et Malgré Yaméogo). Nawalagmba (qui signifie il viendra nous rassembler en mooré) a été ondoyé et foudroyé à son enfance et secouru par un missionnaire qui s’appelle Maurice. Il l’a baptisé et lui a donné pour saint patron le sien.
Après son école primaire, il est admis au séminaire de Pabré. Malgré son intelligence, il ne parviendra pas au bout de ses études au séminaire puisqu’il n’a même pas eu le brevet avant d’abandonner. Pour son père, voir Maurice devenir un prêtre ne lui permettra pas de faire des enfants. C’est ainsi qu’il quitte le séminaire très tôt dès la classe de 4e. Un jour, il marcha du séminaire pour rejoindre Ouagadougou. Il a alors rencontré le vieux Henri Yaméogo de Ronsin (un quartier de Koudougou) qui était un fonctionnaire de l’ONATEL. Il lui expliqua qu’il venait de quitter le séminaire et il voulait travailler. Grâce à lui, Maurice a été pris comme commis expéditionnaire et il a gravi rapidement les échelons. Maurice Yaméogo avait un grand compagnon qui est mon grand frère qui s’appelle Dénis Yaméogo.
La politique se faisait dans la cour de notre père Ouigou Yaméogo. Houphouët-Boigny y est lui-même venu. Ils allaient en campagne avec le véhicule d’un autre cousin Joseph Béremwidougou qui, lui était en service à l’élevage. Eux, ils faisaient la campagne du MDV et de l’autre côté, c’était le RDA. Le MDV avait à sa tête Gérard Kango Ouédraogo avec le capitaine Michel Doranges et à Koudougou, c’était l’ambassadeur Henri Guissou. Alors, aux élections de 1956, les 6 candidats qui faisaient partie du MDV étaient passés à Koudougou. Les 6 députés de l’époque étaient ceux de la liste du MDV. Dans l’ensemble, il y avait une balance entre le RDA et le MDV. Je partage avec vous ce que j’ai vu moi aussi. Alors, Paul Nikièma, magistrat de formation à l’époque qui était ministre de la Santé puis ministre de la Justice, serait venu prendre contact avec Maurice et Dénis pour leur demander d’adhérer au RDA à condition de quitter le MDV pour des postes promis dans le RDA. Ils étaient donc 3 à accepter cette démission pour des postes ministériels et les 3 autres ont refusé (Bassolet, Bassinga et un autre). Maurice a été nommé ministre de l’Agriculture, Dénis ministre des Affaires sociales. Pendant ce temps, c’est Ouézzin Coulibaly qui était chef du gouvernement, Premier ministre.
Dès leur démission, ils ont été reçus à Bobo-Dioulasso par Ouézzin Coulibaly pour une présentation à la population de Bobo. Ce fut l’occasion pour Maurice de dire la raison de leur démission du MDV pour le RDA. Dans son langage franc et son caractère d’homme égal à lui-même, Ouézzin Coulibaly s’est posé la question de savoir pourquoi ce temps mis avant de découvrir un tel homme. C’est à partir de ce moment que Maurice a été plus rapproché de Ouézzin Coulibaly et a de ce pas été nommé ministre de l’Intérieur. Quelques temps après, il tomba malade et fit appel à Maurice qui était son homme de confiance pour lui tenir informé qu’après le rang de Premier ministre, c’est le ministre de l’Intérieur qui suit.
Après le décès de Ouézzin Coulibaly, le pouvoir lui a été confié. Chose qui est inadminissible chez les autres dont Joseph Ouédraogo et Issouf Conombo. Il n’en était pas question selon eux. Le gouverneur de l’époque qui s’appellait Moural ordonna Maurice de les convoquer et de leur dire que s’ils ne sont pas d’accord pour qu’il achève le mandat de Ouézzin, il dissoudra l’Assemblée dès cet instant, certainement beaucoup d’entre eux ne reviendront plus dans cette Assemblée. Avec ce langage, les gens ont voté la motion de confiance pour lui, afin qu’il achève le mandat de Ouézzin. C’est durant ce temps d’achèvement du mandat que Maurice a pu convaincre les autres à un parti unique qu’a été le RDA. Pourtant, il n’est pas le fondateur du RDA. Les fondateurs sont Joseph Ouédraogo, Issouf Conombo, Christophe Kalenzaga, Paul Nikèma. C’est avec cette tactique qu’il a pu être à la tête du RDA et a supprimé les autres partis. Tout le monde était d’avis avec lui sauf Joseph Ki-Zerbo qui, lui, est resté dans la clandestinité. Nazi Boni, leader du PRA, a rejoint Dakar.
La suite des événements, j’étais enfant et écolier. Il y a eu des élections et Maurice a eu plus de 99% des voix. C’est donc l’orgueil de l’homme sinon quand on est élu à 99% des voix, on dit que tout le monde est avec vous, et on peut prendre toutes les décisions. C’est un rabattement de 5 ou 10% (je ne me rappelle plus trop) de salaire qui a provoqué le soulèvement populaire. Les fonctionnaires de l’époque ont manifesté pour dire non. Je peux citer entre autres, Ki- Zerbo, Joseph Ouédraogo. Mon grand frère Dénis, informé de la situation, devait recevoir des syndicalistes qui étaient venus rencontrer Maurice, mais celui-ci les a renvoyés chez Dénis. Il n’a donc pas reçu les syndicalistes, leur a dit merde et les a même insultés. Maurice a donc décidé de les recevoir mais ces derniers de leur côté ont refusé. Et c’est parti avec le soutien de vote, même Joseph Ouédraogo qui était pour lui est devenu un opposant.
Dénis Yaméogo était très craint de partout (Sissili, Passoré, et même koudougou) de par son physique, grand et fort. Il n’y a donc pas eu 200 Dénis Yaméogo à Koudougou. A l’époque, c’était la force, où vous avez le "wak" pour résister où vous ne réagissez point. C’est ainsi que personne ne pouvait à l’époque contester la politique de Maurice. C’est ce pourquoi, Maurice ne pouvait pas se séparer de son cousin Dénis. Dans le conseil de Maurice, Joseph Ouédraogo était le maire de Ouagadougou et quand Maurice a compris qu’il y avait un complot qui était même soutenu par le gouverneur qui l’avait fait monter, il a ordonné au gouverneur qui revenait de Bobo de retourner en France et il a invité tout le monde à un meeting public à la Place de la révolution. Et quand il prit la parole, il annonça que la mairie de Ouagadougou est dissoute. Joseph Ouédraogo a voulu lui aussi prendre la parole, mais Maurice a dit ceci :"Tu interviendras lorsque j’aurai fini". Quand il eut fini, il a aussitôt demandé aux danseurs de monter sur scène. C’est ainsi que Joseph a été obligé de rejoindre l’opposition. Ce sont les syndicalistes qui ont exigé le départ de Maurice Yaméogo. Sangoulé Lamizana n’a jamais fait un coup d’Etat à Maurice comme beaucoup le pensent. Quand Maurice a vu la foule immense qui réclamait son départ, il leur a dit ceci : "Comme vous voulez le pouvoir, vous l’aurez" et aux syndicalistes de dire non. Il a alors écrit et signé sa lettre de démission et c’est Sangoulé Lamizana qui l’a remplacé. Lamizana l’a fait accompagner à Koudougou. J’étais déjà fonctionnaire à Kokologo, et quand j’ai appris que ça n’allait pas à Ouagadougou, j’ai voulu partir et on m’a dit qu’il n’y avait personne. Ils sont tous à Koudougou. Arrivé à Koudougou, j’ai trouvé Maurice seul, le grand frère Dénis n’y était pas. Je suis reparti sur le champ avec ma moto sur Ouagadougou. Les faits étaient réels, Dénis était là, entouré de militaires. C’était dans la soirée et on m’a ordonné de repartir mais j’ai refusé sous prétexte de dormir sous les arbres. Avec insistance, ils m’ont laissé rentrer et je suis resté quelques jours avec mon grand frère jusqu’à ce qu’eux–mêmes interviennent pour que je rejoigne mon poste."
El Adj Abdoul Salam Zoma, grand imam de Koudougou et ancien collaborateur de Maurice Yaméogo "Maurice Yaméogo a été un grand homme, très aimable et courtois. Je lui rendais visite de temps à autre. C’est simplement par jalousie qu’il a été renversé. C’est un rabattement de 10% sur les salaires des fonctionnaires en vue d’aider les populations rurales qui a entraîné sa chute. C’était après son second mariage avec Nathalie, mariage organisé en grande pompe avec l’aide et le soutien financier de son grand ami Félix Houphouet-Boigny, alors président de la Côte d’Ivoire. Joseph Ouédraogo et les autres collaborateurs se sont vite concertés et ont informé les populations que Maurice avait utilisé l’argent des fonctionnaires pour organiser son second mariage. Le jour de sa démission, Maurice Yaméogo, je m’en souviens, a dit un merci sincère au peuple voltaïque et leur a dit qu’il restait disponible pour répondre à toutes les préoccupations de la population en ce qui concerne son mandat. Après sa chute, les Voltaïques ont eu de l’amertume à le laisser partir. Je salue sa mémoire et je le respecte encore aujourd’hui. Maurice a beaucoup travaillé avec les religieux (chrétiens et musulmans). A chaque fête musulmane (Ramadan, Tabaski), il se déplaçait pour partager avec nous sa joie au lieu de la prière. Après la prière, il prenait la parole pour inviter la communauté musulmane à l’unité et à prier pour la paix en Haute-Volta.
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