Malgré son arrestation et la sévère répression de la manifestation qu’il avait initiée avec ses camarades pour exprimer son opposition au projet de loi instituant un ticket à la présidentielle, Barthélemy Dias ne compte pas s’amender. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, hier, le Secrétaire général du Mouvement national des jeunesses socialistes (Mnjs) enfonce le clou : « Le pays sera à feu et à sang, parce qu’en face de nous, il y a un régime qui refuse de reculer ». M. Dias met également en garde les chefs religieux qui ne daignent pas encore prendre position.
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Quel bilan tirez-vous de la manifestation que vous aviez initiée pour dénoncer la nouvelle trouvaille de Me Wade ?
Pour nous, c’est un bilan positif. L’objectif recherché était de susciter le débat autour de cette honte constitutionnelle que Wade veut faire passer dans ce pays. En toute modestie, en toute humilité, nous sommes satisfaits, parce que nous avons pu constater que les Sénégalais, aujourd’hui, ont pris connaissance des enjeux liés à cette honte constitutionnelle. Donc, pour nous, l’objectif a été atteint. Maintenant, la deuxième phase du combat, c’est de faire en sorte que cette honte constitutionnelle ne puisse pas passer. Abdoulaye Wade peut faire ce qu’il veut, mais qu’il sache que cette insulte à la nation ne passera pas. On ne l’acceptera pas. Il y a eu déjà un mort à Sangalkam par rapport à la bêtise libérale, nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre. Cette loi ne passera pas au sein de la classe politique, de la société civile et des populations sénégalaises, même s’il a une majorité de marionnettes à l’Assemblée. Nous irons manifester à l’Assemblée nationale, parce que ça fait partie du combat politique. Nous combattrons jusqu’à ce que cette loi soit retirée du système.
Que vous inspire l’attitude des forces de sécurité qui ont sévèrement réprimé votre manifestation ?
Nous déplorons le comportement des forces de l’ordre. Dans notre adversité, nous ne les prenons pas en compte. Parce que, nous n’avons pas de problèmes avec eux. Le comportement de certains éléments du Groupement mobile d’intervention est déplorable. La plupart d’entre eux sont assez limités et paniquent rapidement. Mais, je dois reconnaître le professionnalisme du commissaire central de Dakar et du colonel Lam chargé du Groupement mobile d’intervention. Nous, nous cherchons à faire en sorte qu’on ait jamais à nous reprocher une quelconque violence à l’endroit des forces de l’ordre. Nous, nous sommes dans un combat politique, dans une opposition farouche, par rapport à un projet de loi qui cherche à installer le Sénégal au panthéon de la bêtise. On ne peut pas l’accepter. Ça, Abdoulaye Wade doit le comprendre. C’est dommage qu’on soit contraints à s’opposer aux forces de l’ordre. Nous allons nous battre pour que ce projet de loi soit retiré. Et ensuite, nous allons nous battre pour que la Constitution du Sénégal soit respectée. Il ne faut pas que Wade cherche à nous endormir. La Constitution ne lui permet pas de briguer un troisième mandat. Et il ne briguera pas un troisième mandat dans ce pays.
Comment s’est passé votre audition au Commissariat central après votre arrestation ?
Vous savez, je suis tellement habitué aux commissariats de police qu’à la limite, c’est une promenade de santé. Je dis toujours à mes amis que, comme nous n’avons pas volé, nous n’avons pas violé, nous n’avons pas tué, nous ne devons rien à personne, il n’y a pas de quoi avoir honte. Nous nous battons pour la bonne cause. Abdoulaye Wade a eu à s’opposer à sa manière. Aujourd’hui, il est président de la République, c’est à notre tour de nous opposer. Les Sénégalais en ont décidé ainsi le 19 mars 2000. Nous nous opposons dans la dignité, dans le respect des lois de ce pays. Et nous continuerons à nous battre pour que la démocratie sénégalaise puisse avancer. Nous invitons toutes les forces de défense et de sécurité de notre pays à faire preuve de professionnalisme, parce qu’Abdoulaye Wade appartient, politiquement, à la préhistoire de ce pays. Donc, ça ne sert à rien de verser dans le zèle. Nous nous battons pour le respect des principes démocratiques et républicains. Nous devons le faire pour l’histoire et pour la postérité. Je promets à Abdoulaye Wade, sur les tombes des Présidents Senghor et Mamadou Dia, que la Constitution du Sénégal sera respectée. Abdoulaye Wade n’a aucune idée de ce qui se prépare du côté de l’opposition. Il ne faut pas qu’il pense que l’opposition, c’est une question de leadership. Nous, notre avenir est devant. Il n’est pas derrière nous. Ce que Wade cherche à faire, c’est de nous retirer un avenir. Et ça, nous ne l’accepterons pas. Il cherche à monarchiser le pays, il cherche coûte que coûte à mettre son fils au pouvoir.
Mais, le chef de l’État a déclaré que ce projet de loi prouve qu’il n’a pas l’intention de se faire succéder par son fils...
Quand Abdoulaye Wade dit que ce ticket sera la preuve que son fils n’est pas dans le schéma, mais il raconte des contrevérités. Il n’a aucun respect pour la Constitution de ce pays. Installer un ticket, voler des élections en s’appuyant sur ce ticket, et puis, le lendemain, re-modifier la Constitution en disant qu’en cas de vacance du pouvoir, ce n’est plus le Vice-président qui assure l’intérim, mais le Premier ministre. Il faut qu’Abdoulaye Wade comprenne une chose : il a 90 ans, il appartient à la préhistoire. Il ne peut pas nous endormir.
Ne craignez-vous pas que du sang soit versé lors du vote de la loi ?
Le pays sera à feu et à sang, parce qu’en face de nous, il y a un régime qui refuse de reculer. Je mets tout le monde devant ses responsabilités. Il n’y a pas qu’Abdoulaye Wade. Les députés qui partiront voter doivent savoir que ce qu’ils vont faire est une forfaiture. Ils habitent dans ce pays-là. Il y a des choses que nous n’accepterons pas. Maintenant, des gens pourraient être blessés, des arrestations pourraient avoir lieu. Je ne prie pas pour qu’il y ait des morts. Mais qu’ils sachent qu’ils vont pousser les gens à entrer en guérilla. Ce pays-là n’appartient à personne et cette loi ne passera pas.
Excepté le Cardinal Théodore Adrien Sarr, les chefs religieux se sont singularisés par leur mutisme par rapport à ce projet de loi. Quel commentaire faites-vous de cet état de fait ?
C’est déplorable de constater le comportement des chefs religieux au Sénégal. Je suis nostalgique de l’époque d’Abdoul Aziz Sy Dabakh. J’étais tout petit et je voyais ce qui se passait dans ce pays. Je suis nostalgique de l’époque d’Abdou Khadre Mbacké. Je suis nostalgique de l’époque du Cardinal Thiandoum. Et aujourd’hui, je me réjouis de voir que le Cardinal Théodore Adrien Sarr a pris position dans ce contexte actuel. Ceux qui ont choisi de se taire, on respecte leurs positions. Mais, demain, lorsque le pays volera en éclats, il ne faut pas que ces gens-là cherchent à jouer aux pompiers. Parce que, personne ne les écoutera. Quel que soit leur rang dans ce pays. À mes yeux, c’est de la complicité passive.
Propos recueillis par Barka Isma BA
Cet article est repris du site http://www.afriscoop.net/journal/sp...