Corroborant une étude du département de sciences cognitives de l’Université de Rochester, l’Office of Naval Research (US Navy) a constaté que des soldats ayant pratiqué des simulations militaires ou joué aux jeux vidéo FPS / STR quelques heures par jour pendant un mois avaient amélioré leur perception visuelle, leur concentration, leur mémoire à court terme et leur réflexes d’environ 20%, et conservaient ces capacités améliorées pendant deux à trois années.
En fait, l’ONR et l’Université de Rochester ont tout simplement constaté que les simulations militaires et les jeux vidéo dynamisent considérablement l’intelligence fluide, même à l’âge adulte.
N.B. : L’intelligence fluide est définie comme la capacité à acquérir de nouvelles connaissances et à trouver de nouvelles solutions face à des situations inédites; à l’opposé de « l’intelligence cristallisée » reposant sur l’usage de connaissances et d’expériences antérieures.
Chiens de vidéoguerre
En effet, les jeux vidéo FPS (Jeu de Tir Subjectif) ou RTS (Stratégie en Temps Réel) obligent le joueur à surmonter sa frustration, à mieux anticiper et réagir, à améliorer ses tactiques / stratégies et à s’adapter à de nouveaux environnements. Ces applications ont également une particularité aussi amusante qu’enrichissante : leurs manuels d’instructions sont vite oubliés par les gamers qui se débrouillent rapidement en pleine action.
Par ailleurs, lorsque le jeu vidéo se jouait uniquement « en local » c-à-d hors ligne, n’importe quel joueur parvenait tôt ou tard à surpasser l’intelligence artificielle pour peu qu’il repère ses récurrences tactiques et ses failles programmatiques. Dans un jeu en ligne massivement multi-joueurs (MMOG), tout se complique : les ennemis et les alliés humains étant beaucoup plus novateurs et plus imprévisibles, les possibilités tactiques et stratégiques tendent littéralement vers l’infini et le chaos de la guerre prend vite forme.
À moins d’affronter un adversaire très inférieur en nombre et en armement, « foncer comme un bourin » sera rarement payant. Il vaut mieux ruser, contourner, embusquer, improviser, patienter et parfois renoncer tel un vrai stratège. La sélection des officiers, le choix des armes et des munitions, l’exploitation du relief et de la météo et la coordination des composantes (reconnaissance, aviation, artillerie, blindés, infanterie, commandos, etc) pèseront lourdement sur l’issue de la bataille.
Rien d’étonnant à ce que les armées embrassent ouvertement ces plate-formes virtuelles d’entraînement dédiées ou improvisées. L’armée espagnole teste régulièrement ses tactiques en essaims dans le jeu commercial Panzer General. Son homologue américaine a officialisé le jeu America’s Army comme outil de recrutement et plate-forme d’entraînement qui, depuis peu, intègre le radioguidage de drones aériens et de robots démineurs. En 2009, le cabinet d’études mercatiques Frost & Sullivan chiffrait le budget du Pentagone en jeux vidéo et simulations à 4,97 milliards de dollars annuels. Une véritable aubaine pour des générations de soldats nourris à Call of Duty – Modern Warfare, Ghost Recon, CounterStrike, Flashpoint, Medal of Honors, Wolfenstein – Enemy Territory, Ground Control, Alerte Rouge et Command & Conquer - Generals, pour ne citer que ces fracassants succès commerciaux.
Ces tendances sont d’autant plus facilitées par les synergies croissantes entre les centres de formation militaire, les éditeurs de jeux vidéo et les fabricants de cartes graphiques (Nvidia, ATI) qui brouillent les distinctions entre le jeu commercial et la simulation militaire a fortiori quand les studios cinématographiques s’en mêlent. Pour les éditeurs de jeux vidéo et les fabricants de cartes graphiques, ces synergies avec les centres de formation militaire sont d’abord synonymes de jouabilité, de sophistication et de réalisme améliorés et donc de profits augmentés. Corrélativement, l’information de guerre et les interfaces militech (hélicoptères, avions, drones, chars d’assaut, combinaisons FELIN et IdZ-ES, etc) ont adopté une philosophie plus ou moins vidéoludique, notamment depuis la première guerre du Golfe.
Après tout, y aurait-il une différence majeure entre le joystick d’un ordinateur et la manette d’un F-18 ou d’un missile Hellfire ? Le jeu Medal of Honors ne doit-il pas énormément au film Il Faut Sauver le Soldat Ryan ? Les viseurs HUD et les écrans de contrôle ne furent-ils pas l’autre prisme des guerres d’Irak, d’Afghanistan et des Balkans ? Ces univers graphiques killer-friendly modifient-ils peu ou prou notre perception de l’armée ou notre imaginaire de la guerre ?
Après avoir commandé un sondage en 2008, l’US Army eut l’agréable surprise de constater que 30% des américains de 16-24 ans avaient une image positive de l’institution militaire grâce à America’s Army qui comptabilisait déjà plus de 10 millions de joueurs. Parallèlement, ces G.I.Joe et G.I.Jane virtuels affirmaient n’avoir que très peu d’illusions sur la réalité macabre de la guerre : on n’est plus la même personne après en avoir tué une autre et il n’y a guère de restart lorsqu’on est touché par une balle ou par une grenade.
Il serait intéréssant de savoir ce qu’en pensent les vétérans d’Irak et d’Afghanistan ayant pratiqué ces jeux vidéo.
Serious games
Toutefois, le jeu vidéo et la simulation militaire ne servent pas seulement à entraîner des cow-boys en M-16 ou en AK-47, les dimensions intellectuelles, éthiques, socioculturelles et thérapeutiques sont aussi de la partie.
Dans Saving Sergeant Pabletti, le commandant d’une compagnie est grièvement blessé lors d’un furieux échange de tirs en Irak. Aussitôt, ses compagnons d’armes doivent le sauver et s’extirper de ce pétrin en restant soudés, cohérents et débrouillards. Cette application ludo-éducative intègre également des aspects sociaux comme les tensions raciales et le harcèlement sexuel. L’US Army a validé ce jeu dans sa formation interne, en particulier auprès des unités de remplacement et/ou lors des transports de troupes vers l’Irak et l’Afghanistan.
Co-développé par Will Interactive, par le Directorate of Training and Doctrine et par 20 vétérans (Irak, Afghanistan, Somalie) Gator Six n’est pas à proprement parler un jeu vidéo, il s’agit plutôt d’une application multimédia interactive spécialement et uniquement conçue pour l’US Army, « portant nettement plus sur des méthodes de réflexion dans le feu de l’action que sur l’objet de ces réflexions », selon le DTDoc. Ses deux supports DVD et son prix de 750 000 dollars sont justifiés par les quatres semaines qu’ont nécéssité le tournage de ses centaines de scénarios possibles avec des acteurs effectivement vétérans d’Irak et d’Afghanistan.
Emprunter ce trajet plutôt que cet autre ferait perdre six minutes fatidiques au convoi, impliquer le guide et traducteur dans la prochaine opération serait plus approprié, abandonner ce camion chargé de munitions mais irrémédiablement endommagé par une IED n’est peut-être pas une bonne idée. Que faire après avoir malencontreusement fauché un enfant irakien avec son Humvee dans un quartier populaire alors qu’on transportait une femme blessée (et voilée) à toute vitesse vers un hopital ?
En fait, Gator Six plonge un jeune commandant dans l’extrême difficulté à prendre une décision en temps et zone de guerre. Ce quasi jeu vidéo illustre parfaitement l’incessante complexité de cette fonction à l’ère moderne : à la fois militaire, policière, humanitaire et diplomatique. Point besoin de manuel d’instructions.
Dans un registre purement culturel, les corps expéditionnaires américains en Irak et en Afghanistan apprécient grandement Tactical Language et Culture Training Systems, application ludo-éducative couronnée par le DARPA qui propose une formation interactive aux règles de sociabilité en arabe irakien, en pachtoune et en français (en vue d’opérations en Afrique francophone).
Le jeu vidéo Full Spectrum Warrior (Xbox) a été dérivé en 2003-2004 par le Virtual Environnements Lab (Université de Californie du sud) en une « application clinique d’immersion thérapeutique » sous l’appellation de Virtual Iraq. Ce traitement de cheval aide le vétéran d’Irak / d’Afghanistan à mieux gérer ses troubles post-traumatiques en le replongeant virtuellement - et sous contrôle médical - dans l’ambiance sensorielle (vue, ouïe et même odeurs) du combat. Ici, le patient est uniquement spectacteur car il ne peut riposter avec son arme à feu et ne sera pas blessé ou tué en cas d’impact de balle ou d’explosion d’IED.
Selon plusieurs spécialistes des traumatismes de guerre, c’est précisément le retour à la vie civile du soldat et donc l’absence complète de « l’ambiance de guerre » qui entretient le stress ou le désordre post-traumatique. Virtual Iraq qui a bénéficié du soutien financier de l’ONR demeure un énorme sujet de controverse auprès de nombreux cliniciens. Ces derniers doutent fortement de son efficacité à long terme et estiment que son usage devrait être étroitement associé à des traitements pharmaceutiques et à une psychothérapie adaptée.
Du jeu de tir subjectif à l’immersion thérapeutique, les champs d’applications du jeu vidéo et de la simulation militaire ne cessent de s’étendre et de s’approfondir. Des mondes persistants comme World of Warcrafts ou Second Life laissent présager des jeux vidéo et des simulations militaires ultra-sophistiqués comportant les multiples échelles et dimensions d’un conflit : stratégique, tactique, politique, éthique, économique et socioculturelle. La convergence technologique et médiatique aidant (jeux vidéo, simulations militaires, télévision, cinéma, R&D militaire, retours d’expériences, etc), ces différents univers virtuels propres à l’ère informationnelle ne seront point des ersatz ou des substituts d’écoles de guerre. Néanmoins, ils constituent déjà de formidables vecteurs de connaissances et d’expériences fourmillant d’enseignements, au point de devenir un jour ou l’autre des checkpoints virtuels de la conduite de guerre… avec leurs lots de failles, de biais et d’erreurs.
Vivement un Irregular Warfare - Afghan Strike en ligne ?
Charles Bwele, Électrosphère
Cet article est repris du site https://www.alliancegeostrategique.o...