Le Haut-Karabagh (« pays des jardins noirs ») est une région autonome située à 270 km à l’ouest de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. C’est un territoire de 4 400 km² dont la capitale est Stepanakert.Il a été l’enjeu de l’une des guerres les plus meurtrières de l’espace post-soviétique, qui avait commencé en fait dès les dernières années de l’URSS. Peuplé avant la guerre d’une majorité d’Arméniens chrétiens (73 %), le Haut-Karabagh comptait cependant une importante minorité azérie (25 %).
Un conflit post-soviétique non résolu
Les tensions entre les Arméniens et les Azéris au sein de l’Azerbaïdjan, dont fait partie la région du Haut-Karabakh, ne remontent vraiment qu’à la fin des années 1980, malgré certains précédents historiques. Gorbatchev lance alors sa politique de « glasnost »1 et la « perestroïka »2 . Une pétition circule dès 1987 qui demande le rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie. Inquiet de cette poussée du nationalisme arménien, le pouvoir azéri organise une répression qui débouche sur plusieurs massacres de civils, en particulier celui de Soumgaït les 28 et 29 février 1988 (une trentaine de morts). C’est la crise de la « perestroïka » voulue par Gorbatchev. L’intervention de Moscou en janvier 1989 se solde par un échec ; en décembre, l’Arménie déclare que le Haut-Karabagh fait partie d’une « république arménienne unifiée » . Les Arméniens du Haut-Karabagh proclament alors l’indépendance de la république soviétique du Haut-Karabakh. Avec la chute de l’URSS, l’Azerbaïdjan annonce son indépendance le 30 août 1991, tandis que la région autonome du Haut-Karabagh instaure son indépendance le 2 septembre, plébiscitée à 90 % par la population lors d’un référendum en décembre de la même année.
Cependant, le nouvel Etat n’est pas reconnu, et les combats vont faire rage pendant plus de deux ans, avant qu’un cessez-le-feu ne soit signé sous l’égide de la Russie en mai 1994. Les Arméniens, dont les troupes ont une plus grande efficacité opérationnelle, ont non seulement pris le contrôle de la majorité du Haut-Karabagh, mais se sont emparés aussi d’une zone tampon qui recouvre largement le territoire entre la province et l’Arménie elle-même, résolvant de fait l’enclavement du Haut-Karabagh au sein de l’Azerbaïdjan. La guerre a fait 23 000 morts et plus d’un demi-millions de réfugiés, dont une majorité d’Azéris. L’OSCE charge alors le groupe de Minsk3 de résoudre le conflit. Depuis, le processus de Prague a pris la relève. Mais plus de quinze ans après, le Haut-Karabagh reste un conflit non résolu dans le Caucase, plutôt qu’un conflit véritablement « gelé » .
Des négociations qui ne satisfont personne
Les négociations sont dans l’impasse car la position de la république du Haut-Karabagh elle-même est contestée, non seulement par l’Azerbaïdjan, mais aussi par l’Arménie, qui se veut la seule interlocutrice de Bakou dans la résolution du conflit4. Celle-ci souhaite que le Haut-Karabagh soit rattaché à l’Arménie, alors que les habitants de ce dernier sont pour une indépendance complète, deux solutions que rejettent totalement l’Azerbaïdjan. Conséquence : les deux Etats jouent beaucoup sur la rhétorique belliqueuse et sur le recours éventuel à la force pour régler le problème du Haut-Karabagh. Le président azéri Aliev, en particulier, se fait fort de la manne pétrolière de l’Azerbaïdjan pour gonfler son potentiel militaire et atteindre la parité avec le voisin arménien, dont les responsables politiques n’écartent pas non plus la possibilité d’une nouvelle guerre.
Récemment, pourtant, quelques efforts avaient été réalisés. Les ambassadeurs arménien et azéri en Russie ont mené des négociations parallèles tout en rassemblant un groupe d’intellectuels des deux pays, afin de voyager dans la région et d’insister sur la nécessité de la paix. En décembre 2007, le ministre des Affaires Etrangères azéri évoquait la possibilité d’un statut d’autonomie pour le Haut-Karabagh au sein de l’Azerbaïdjan. Le groupe de Minsk avait proposé un règlement du conflit en 2008 : retour des réfugiés azéris dans la province, restitution de la zone tampon occupée entre le Haut-Karabagh et l’Azerbaïdjan, et tenue d’un référendum dans la région. Le corridor de Latchine, seule voie de communication entre le Haut-Karabakh et l’Arménie, serait attribué au Haut-Karabagh, tandis que l’Azerbaïdjan disposerait d’un corridor vers le Nakhitchevan, la province arménienne peuplée d’Azéris.
Malheureusement, ces propositions de paix n’ont pas dépassé le stade du projet, notamment parce que les deux pays voient le Haut-Karabagh comme un exutoire aux difficultés intérieures, surtout économiques (problème de répartition des richesses nationales, en particulier en Azerbaïdjan). Chacun des deux Etats a d’ailleurs instauré une journée du souvenir pour les massacres imputés à l’Etat voisin (massacres de Soumgaït pour les Arméniens, Jour du génocide des Azéris, depuis 1828, pour Bakou). Le contexte national de l’Azerbaïdjan comme de l’Arménie n’invite donc pas encore à la négociation.
Vers un prochain conflit ?
L’indépendance du Kosovo en mars 2008 et la guerre en Ossétie du Sud d’août 2008 ne sont évidemment pas étrangères au regain de tensions constaté autour du Haut-Karabagh, depuis deux ans environ. Si les Etats-Unis sont très présents en Géorgie, ils ont également des liens étroits, et anciens, non seulement avec l’Arménie (où se trouve une ambassade imposante) mais également avec l’Azerbaïdjan, dont l’armée est en grande partie formée par Washington. Quant à la Russie, elle entretient encore plusieurs bases militaires sur le sol arménien, qui lui permet aussi de communiquer avec l’Iran, un autre allié régional pour Moscou, qui, quant à lui, ne cherche pas trop à s’impliquer dans le conflit du Haut-Karabagh en raison de la présence de minorités sur son propre sol. La Russie est ici dans une zone d’influence naturelle : par ailleurs, en raison de l’encerclement turc et azéri, l’Arménie se rassure de la présence militaire russe5…
Un autre acteur important dans le conflit du Haut-Karabakh est la Turquie, pays traditionnellement allié de l’Azerbaïdjan, et qui, en 1994, a fermé sa frontière avec l’Arménie6. Or, depuis 2007, Ankara se rapproche discrètement d’Erevan, ce qui fragilise la position azérie, pour laquelle l’encerclement de son rival fournit un atout de poids dans le règlement en sa faveur du conflit du Haut-Karabagh. Au contraire, la Russie a resserré les liens depuis 2009 avec l’Azerbaïdjan, alors que l’Arménie est une alliée traditionnelle de Moscou dans le Sud-Caucase (partenariat stratégique, juillet 2008, accord sur l’énergie, juin 2009). On constate ainsi que les équilibres régionaux qui présidaient au conflit du Haut-Karabagh se sont quelque peu modifiés.
Récemment, les tensions se sont accélérées7. En 2010, au moins 25 soldats ont été tués dans des accrochages sur la ligne de front, et trois fois plus dans les premiers mois de 2011. Les escarmouches, qui se multiplient au point de faire croire à la possibilité d’un nouveau conflit, vont croissant. D’autant plus que l’Azerbaïdjan a désormais un budget de la défense qui représente 20 % du budget national, et ne se cache pas d’envisager l’option militaire8. L’année critique pour certains analystes sera 2012, où l’Azerbaïdjan doit atteindre son pic de production pétrolière et sera donc au maximum de ses rentrées financières. Cependant, malgré l’acquisition de lance-roquettes multiples Smersh auprès de l’Ukraine, l’armée azérie connaît de sérieux problèmes (manque de formation des officiers, manque d’unités médicales, bizutage chronique des recrues entraînant un nombre important de morts accidentelles, etc). De l’autre côté, de récents sondages d’opinion montrent que 50 % des Arméniens considèrent le Haut-Karabagh comme une province de l’Arménie. Sur le plan militaire, la principale faiblesse de l’armée du Haut-Karabagh est son absence d’aviation de combat, une déficience que pourrait pallier l’Arménie qui avait battu les Azéris dans le conflit précédent9. Les troupes du Haut-Karabagh sont d’ailleurs étroitement encadrées par Erevan.
La reconnaissance par le gouvernement français de l’autorité rebelle de Benghazi, en Libye, a provoqué beaucoup d’émois à Bakou, qui s’inquiétait alors d’un possible revirement de la France sur la reconnaissance du Haut-Karabagh, ce qu’a tout de suite démenti Paris10. Non, décidément, le Haut-Karabagh ne peut plus être qualifié de « conflit gelé » !
1Littéralement « transparence ». Nom donné à l’ouverture sur la liberté d’expression, notamment, dans l’URSS de Gorbatchev.
2Littéralement « reconstruction ». Nom donné à la politique de réformes économiques et sociales mises en place par Gorbatchev en URSS entre 1985 et 1991.
3Groupe composé des Etats-Unis, de la Turquie, de la France, de l’Italie, de la Biélorussie, de l’Allemagne, de la Russie, de la Suède et de la Hongrie.
4Samuel LUSSAC, « Le Haut-Karabakh, un «processus de paix gelé» ? », Regards sur l’Est, 1er janvier 2008.
5Julien ZARIFIAN, « Arménie, notre amie… », Les Cafés Géographiques, 7 février 2007.
6Christian KOLTER, « Frontière turco-arménienne et conflit du Haut Karabagh : la normalisation, une géopolitique ? », CAUCAZ.com, 4 août 2009.
7Pierre AVRIL, « Les Azéris sont prêts à reconquérir le Haut-Karabakh », Le Figaro, 9 mars 2011.
8Sur le potentiel militaire azéri : Mikhaïl BARABANOV, « Nagorno-Karabakh: Shift in the Military Balance ». Moscow Defense Brief (Centre for Analysis of Strategies and Technologies), 2/2008.
9C.W. BLANDY, Azerbaïjan : Is War Over Nagornyy Karabakh a Realistic Option ?, Caucasus Series, 8/17, Defence Academy of The United Kingdom, mai 2008.
10Merci à Clarisse de me l’avoir signalé.
Cet article est repris du site https://alliancegeostrategique.org/2...