Tel est le type de question ouvertement posée par les décideurs politiques ces derniers jours et qui en deviendra lancinante au fur et à mesure de l’enlisement de la situation en Libye.
Une interrogation aux réponses lourdes de conséquences quant au paysage géopolitique qui en résulterait.
Barack Obama ne l’exclut pas, Alain Juppé se dit prêt à en parler avec ses partenaire et David Cameron n’a pas encore pris la décision de le faire : autant dire que l’idée d’une aide aux insurgés n’est plus cantonnée dans le domaine de la pure rhétorique.
Avant d’évaluer les possibilités offertes, il convient de rappeler au préalable les deux mesures phares de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité votée le 17 mars 2011 : l’instauration d’une zone d’interdiction aérienne, articles 6 et suivant, bien sûr mais surtout la protection des civils, aux articles 4 et suivants [1] par tous les moyens nécessaires. Le texte se veut impartial et axé sur la considération que les populations civiles ne doivent aucunement pâtir des contre-offensives disproportionnées du régime Libyen réduisant les centres de résistance.
Durant le vote de cette résolution, cinq abstentions notables furent à signaler : celles du Brésil, de l’Allemagne, de la Russie, de l’Inde et de la Chine : les BRIC [2] plus la locomotive économique de l’Union Européenne. Une telle réserve amenant fondamentalement à comprendre pourquoi une extension de l’intervention coalisée demeure très réduite et que toute action en dehors de la résolution 1973 sera clairement condamnée par ces Etats membres (avec il faut le rappeler la possibilité pour la Chine et la Russie d’y apposer leur veto). Ajoutons que la Ligue Arabe, pourtant favorable à la résolution, a exprimé peu après les premières frappes sa désapprobation en dénonçant une interprétation plutôt large de celle-ci par les coalisés.
Cette réticence induit qu’une résolution ultérieure à teneur plus interventionniste aurait une chance quasiment nulle de passer.
Pour autant, la coalition centrée autour du groupe de contact constitué des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France ne verrait pas d’un mauvais oeil le départ du truculent chef d’Etat Libyen. Elle reste cependant circonscrite par les textes votés au sein de l’assemblée réunie le 17 mars dernier.
Deux possibilités annexes à une aide officielle offertes :
Une possibilité d’intervenir dans le cadre de la résolution 1973 serait d’invoquer l’article 4 en arguant que la protection des populations civiles passerait par l’envoi d’armes aux forces rebelles aux fins de défendre leurs foyers. Une argumentation pas impossible mais très difficile à tenir, même si la zone de conflit est mouvante, et qu’au fond les résistances peuvent très bien se situer sur l’ensemble du territoire.
Resterait enfin la possibilité d’outre-passer la résolution de l’ONU. Dans un tel cas de figure, il devient évident que ce serait une position clairement partisane pouvant être stigmatisée comme d’essence impérialiste par de nombreux pays déjà soucieux des opérations en cours. Ce serait un risque géopolitique qui impliquerait des raidissements sur la scène internationale (comme les Etats-Unis eurent à le subir lors de la troisième guerre du Golfe en 2003) même si la coalition aurait de fortes chances de rééquilibrer ou d’emporter la décision sur le terrain de cette manière.
Ensuite, se présenterait la question d’un engagement progressif : après la fourniture d’armes, devra-t-on envoyer des troupes de la coalition si cela demeurait s’avérer insuffisant? C’est l’un des autres risques de tout engagement dans un conflit : se laisser entraîner plus en avant qu’on ne le souhaiterait.
En conclusion : la fourniture d’armes (encore faudrait-il préciser lesquelles, de nature passives ou défensives voire les deux) serait la décision la plus tranchée du conflit en cours pour les coalisés. Celle où les implications géopolitiques deviendraient plus radicales, y compris au sein des autres membres de la coalition.
En corollaire, cette question de mise à disposition d’armes pose très crûment la problématique de l’objectif stratégique des coalisés : protéger les populations locales, amener Kadhafi à négocier avec le conseil national de transition ou renverser son régime [4]?
[1] 4. Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’accords régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), pour protéger les populations et zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen, et prie les États Membres concernés d’informer immédiatement le Secrétaire général des mesures qu’ils auront prises en vertu des pouvoirs qu’ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées à l’attention du Conseil de sécurité.
[2] Acronyme désignant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine par la banque d’investissements Goldman Sachs, désignant selon elle le quatuor de pays amenés à jouer un rôle déterminant d’ici 2050.
[3] 9. Décide que tous les États Membres doivent prendre immédiatement les mesures nécessaires pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects à la Jamahiriya arabe libyenne, à partir de leur territoire ou à travers leur territoire ou par leurs nationaux, ou au moyen de navires ou d’aéronefs battant leur pavillon, d’armements et de matériel connexe de tous types – armes et munitions, véhicules et matériels militaires, équipements paramilitaires et pièces détachées correspondantes –, ainsi que toute assistance technique ou formation, et toute aide financière ou autre en rapport avec les activités militaires ou la fourniture, l’entretien ou l’utilisation de tous armements et matériel connexe, y compris la mise à disposition de mercenaires armés venant ou non de leur territoire…
[4] Le rassemblement de tous les membres de la coalition ainsi que d’organisations internationales le 29 mars dernier à Londres a acté la perte de légitimité du dirigeant Libyen, ce qui reviendrait à l’adoption par les pays concernés d’une position plus tranchée pour le départ de ce dernier. Soulignons que la résolution 1370 de l’ONU a en son article 4 autorisé la saisine de la Cour Pénale Internationale, dont l’enquête pourrait être à charge envers les autorités Libyennes responsables de frappes contre la population civile.
Crédit photo : AFP
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