Avant d’ouvrir un nouveau thème du mois, nous avons le plaisir d’accueillir cette contribution d’Alexandre Guérin sur les chemins de fer en Afghanistan. Elle fait suite à un billet précédemment paru de F. de SV qui avait déjà évoqué les chemins de fer en Asie centrale. Du même Alexandre Guérin, on ira se promener sur son blog “Chroniques méso-asiennes” dont le seul titre fait rêver…
Un « cheval de fer » au pays des tchopendoz: projets de développement du rail en Afghanistan.
Pays enclavé d’où le chemin de fer a longtemps été banni, l’Afghanistan a récemment inauguré sa première liaison importante depuis de nombreuses années. Cette ligne d’une voie qui relie Mazar-e-Sharif à la frontière ouzbèke est porteuse de nombreuses perspectives tant militaires (fluidification du ravitaillement issu du Northern Distribution Network) qu’économiques (commerce et importations facilitées). Dans la foulée de l’inauguration, le gouvernement afghan a par ailleurs annoncé le lancement de plusieurs projets visant à développer le rail dans le pays.
La voie ferrée reliant Hairaton à Mazar-e-Sharif a été construite par une entreprise ouzbèke, ce qui veut dire que l’écartement entre les rails est de 1520mm (soit le standard impérial russe encore en vigueur en ex-URSS). Elle permet donc techniquement le transit de cargaisons depuis Riga sans rupture de charge. La voie ferrée ne se prolongeant pas plus, il semble logique que Mazar-e-Sharif devienne un hub important aussi bien pour le commerce afghan que pour la logistique de l’OTAN. Cela semble d’autant plus probable que le Nord est à la fois plus développé économiquement, plus sûr et que le pays, s’il semble vouloir passer au rail, n’a visiblement pas opté pour un écartement à la soviétique…
Le fret ferroviaire semble en effet largement plus avantageux (jusqu’à 5 fois moins cher) que le transport routier en Afghanistan. La mise en place des infrastructures est cependant coûteuse (2 millions de dollars US au kilomètre de voie), ce qui implique que les voies construites devront être amorties sur un temps long. Leur finalité ne peut donc être uniquement militaire.
Dans la foulée de l’inauguration de la ligne Mazar-e-Sharif – Hairaton, le gouvernement afghan a annoncé son intention à terme de construire trois nouvelles voies ferrées :
- une ligne reliant Mazar-e-Sharif à Torkham, porte vers le Pakistan
- une ligne reliant Chaman (déjà connecté au réseau ferré pakistanais) à Kandahar
- une ligne devant à terme relier le Tadjikistan à l’Iran, avec des ramifications vers l’Ouzbékistan et le Turkménistan.
Crédits: Andrew Grantham
Plusieurs éléments contribuent à attirer l’attention sur le dernier tracé. D’une part, il rejoint l’intention derrière le récent mémorandum signé entre Iran et Tadjikistan (actuellement prolongé par des consultations techniques) visant à raccorder les réseaux ferrés tadjiks et iraniens. D’autre part, le fait que l’ensemble des voies annoncées soient prévues en écartement standard (1435 mm) laisse à penser qu’elles pourraient servir à établir la première liaison ferroviaire trans-eurasienne sans rupture de charge en raccordant les lignes chinoises et iraniennes (voir carte). Enfin, l’état d’avancement de la ligne devant à terme relier Khaf (en Iran) à Herat laisse à penser que cette ligne au Nord de l’Afghanistan sera la première à être complétée. D’autant plus que la Chine, l’un des derniers joueurs en date sur l’échiquier afghan, y trouverait son compte à plusieurs niveaux.
La Chine cherche depuis plusieurs années déjà à acquérir des concessions minières en Afghanistan (elle a remporté en 2007 les droits d’exploitation de la mine de cuivre d’Aynak), et l’appétit de son économie pour les matières premières que possède le pays (hydrocarbures, métaux rares…) la pousse naturellement à s’installer durablement. Jusqu’à présent, l’Empire du Milieu n’a pas procédé différemment, investissant massivement dans des infrastructures de transport dans des pays en développement afin de faciliter l’export de matières premières et l’écoulement de ses propres marchandises. Un réseau ferré « sino-compatible » en Afghanistan assurerait donc à la Chine un accès facilité aux ressources afghanes et aux ports iraniens (Bandar Abbas en tête), ainsi qu’à terme une voie continue vers la Turquie et l’Europe susceptible de stimuler ses exportations.
Si l’Afghanistan ne s’est mis au rail que récemment, des projets d’infrastructures ferroviaires ont existé dès le XIXème siècle, les Russes souhaitant relier Merv (Turkménistan actuel) à Herat, tandis que les Britanniques planifiaient une liaison de Kandahar vers Quetta (Pakistan). Le premier véritable projet d’initiative afghane (bien que l’étude préparatoire ait été le fait de l’Inde) date de 1975, alors que le gouvernement de Kaboul cherchait à réduire sa dépendance vis-à-vis des Soviétiques. Il envisageait la construction de 1400 km de voies ferrées contournant l’Hindou-Kouch, traversant Sheretabat (frontière avec l’URSS), Herat, Kandahar, et Chaman (relié au réseau du sous-continent indien). Un projet du français Sofrerail daté de l’année suivante reprit ce tracé, y ajoutant à terme une liaison vers Bandar-Abbas, en Iran.
Aujourd’hui comme hier, les projets ferroviaires semblent refléter les appétits géopolitiques des puissants voisins du Royaume de l’Insolence. Il peut être intéressant de constater que l’Afghanistan a déjà été au centre d’une rivalité Est-Ouest (Empires Safavide et Moghol) et Nord-Sud (Empires Russe et Britannique). A l’heure actuelle, les pôles Est et Ouest semblent alliés, tandis que les pôles Nord et Sud semblent inanimés. Reste à savoir si la situation évoluera vers un combat fratricide Est-Ouest, ou vers une rivalité entre axes (Nord-Sud contre Est-Ouest) qui ne serait pas sans rappeler la crise de Fachoda au 19ème siècle…
Pour terminer, soulignons l’existence d’un site dédié au rail en Afghanistan proposant une histoire extrêmement exhaustive des projets en la matière au Royaume de l’Insolence.
Alexandre Guérin
Cet article est repris du site https://www.alliancegeostrategique.o...