Outre le grand défilé de Bobo-Dioulasso, les inaugurations, les feux d’artifices, les chants et danses, les Burkinabè ont aussi commémoré les 50 ans de l’indépendance de leur pays en écoutant le message du chef de l’Etat. Du point de vue de la forme, l’intervention n’a pas été entourée de la solennité qui devait caractériser la commémoration de cinquante ans d’indépendance d’un pays. Pourtant, des mois durant, l’accent avait été mis sur l’importance d’un événement que tout le monde ne vivra pas deux fois.
Le discours du cinquantenaire est venu presque de manière insolite sur les antennes nationales. Certes, on y avait fait allusion en annonçant le programme des festivités. Mais, puisque cinquante ans de la vie d’une nation, ce n’est pas rien, on aurait pu prendre d’autres dispositions. Par exemple, du côté des professionnels de médias publics et privés, (radio télévision et presse écrite), on aurait pu s’entendre avec les organisateurs des manifestations du cinquantenaire, pour organiser de véritables échanges. Des analystes auraient pu intervenir avant et après le message du chef de l’Etat pour mieux le décrypter et le situer dans le contexte d’évolution d’un pays comme le Burkina Faso. Surtout que son premier responsable rêve d’en faire un pays émergent. Il est indéniable que l’expérience démocratique burkinabè est à la peine. De jour en jour, la fracture se fait plus critique entre le citoyen électeur et les gouvernants. Des débats avec des analystes rigoureux, choisis parce qu’ils sont au fait du dossier depuis les indépendances, auraient beaucoup contribué à élever la prise de conscience des uns et des autres, et à faire avancer la recherche de solutions alternatives aux problèmes du pays. Mais, l’esprit festif semble avoir neutralisé les autres réflexes. A moins que les facteurs habituels qui inhibent les initiatives ne se soient mis de la partie.
S’agissant du contenu du discours, le même menu a été resservi aux Burkinabè. Blaise Compaoré qui dirige le pays depuis maintenant 23 ans sur 50 ans d’indépendance, les invite à faire leur introspection. Il a rendu hommage aux anciens chefs d’Etat dont trois ne sont plus de ce monde. De même, d’éminentes personnalités de notre histoire, des chefs traditionnels, tous ont été nommément salués pour leur contribution à l’histoire de ce pays. Comme pour réconcilier le peuple burkinabè avec lui-même, de l’indépendance à nos jours. Reste à savoir si le discours du chef de l’Etat a convaincu. En effet, cinquante ans après les indépendances, la vie chère continue de tenailler les Burkinabè, toutes origines et tendances confondues. La majorité des Burkinabè ont soif et ne mangent toujours pas à leur faim. Mais il s’en trouve pourtant des Burkinabè, qui continuent et continueront de dépouiller sans scrupules l’Etat de ses maigres ressources. Et cela, dans l’impunité la plus totale. On aurait bien voulu entendre le chef de l’Etat sur ces incohérences et même taper du poing sur la table à propos de la corruption qui a gangrené l’administration publique, le clientélisme et le favoritisme qui ont trop envahi les marchés publics. Dire aux plus nantis de penser un peu à ceux qui souffrent. En un mot : sonner la fin de la récréation. Peut- être faudra-t-il pour cela attendre le traditionnel message du nouvel an ? Ou encore le discours d’investiture du chef de l’Etat reconduit après un score de plus de 80% au scrutin présidentiel du 21 novembre dernier ? En tout cas, au plan politique, nombre de Burkinabè aspirent à plus de démocratie, notamment à une alternance crédible. Dans l’ensemble, on voulait en savoir sur les promesses faites par le passé, notamment à Ouahigouya, en 2009. Des réformes avaient été annoncées. On s’attendait donc à un bilan : ce qui a pu être fait, et ce qui reste à entreprendre. Car, l’évidence crève les yeux : il faut redresser la barre tant au niveau politique qu’économique. Mais une fois encore, les mêmes projets ont été livrés à l’opinion qui attend désespérément du concret. Les Burkinabè voudraient savoir à quelle sauce ils vont être mangés. En particulier, la probable révision de l’article 37 divise l’opinion. Depuis longtemps, elle attend de la part du premier magistrat de la Nation, une réponse claire et nette.
Mais dans son discours qui aurait pu matérialiser une certaine rupture, Blaise Compaoré n’en a pas soufflé un mot. Pourtant, par souci de réconciliation comme il le recommande lui-même, un coup d’arrêt aux débats autour du fameux article 37 aurait pu aider le pays à avancer plus sereinement. Le cinquantenaire, c’est aussi l’occasion de fermer la parenthèse, d’en finir avec ces discours pleins d’ambiguïté, et qui ne situent personne sur les vrais enjeux nationaux. Le Burkina Faso, qui a renoué avec le processus démocratique dans sa quarantième année, suite aux engagements de La Baule, se retrouve aujourd’hui avec des coquilles vides. Ce processus repose en effet sur des institutions qui ne fonctionnent pas correctement, et qu’on a progressivement dépouillées de leurs vertus démocratiques. Et pourtant le Burkina Faso veut émerger ! Parce que bon nombre d’élites entourant le chef de l’Etat, ont abdiqué. La peur du lendemain et l’appât du gain ont fini par avoir raison de leur libre opinion et de leur sens des responsabilités. Cinquante ans après les indépendances, les Burkinabè qui ont suffisamment grandi, ne doivent pas continuellement garder le silence. Il faut susciter et encourager les débats à tous les niveaux, évacuer une peur qui n’a pas sa raison d’être, capitaliser sur du concret, et trouver des voies consensuelles de résolution d’une crise de leadership longtemps sous couveuse.
De ce point de vue, le discours du cinquantenaire a raté l’occasion d’amener les Burkinabè à se retrouver pour se réconcilier avec leur histoire et avec eux-mêmes. Le message livré aux Burkinabè le 11décembre 2010 se sera ainsi fait remarquer par son caractère par trop ordinaire pour un cinquantenaire. Pour les prochaines sorties, il faudra donc aller au fond des choses, et ne plus laisser place à l’expectative. Il y va de la paix et de l’avenir de ce pays.
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