Pour la première fois, Avocats sans frontières Canada fait partie des ONG admises à titre d’observatrices internationales du procès d’Omar Khadr et compte une déléguée sur place parmi les représentants d’Amnesty International, de Human Rights Watch, Human Rights First, de l’American Civil Liberty Union, du National Institute of Military Justice (États-Unis) et de la National Association of Criminal Defense Lawyers (États-Unis). Véronique Lebuis nous écrit de Guantánamo.
Omar Khadr demeure le seul occidental et le plus jeune détenu à Guantanamo Bay. Il est le premier à subir un procès devant les commissions militaires depuis que le Président Obama a promis de les abolir, il y a 20 mois. Le jeune Khadr a été arrêté en 2002 alors qu’il avait 15 ans, au cours d’un combat en Afghanistan ayant causé la destruction par l’armée américaine de la maison dans laquelle il se trouvait et qui l’a laissé inanimé après qu’il ait reçu deux balles dans le dos.
Trois ans et demi plus tard, cinq chefs d’accusation ont été déposés contre lui par les autorités des commissions militaires, tribunaux d’exception conçus pour juger les « combattants ennemis illégaux », notion inexistante en droit international, qui présume en elle-même de la culpabilité des accusés et qui n’est destinée qu’aux ressortissants non américains. Son procès débute huit ans après sa capture.
Coupable ou non-coupable ? Quand ce n’est plus une question de preuve
Le 25 octobre, Omar Khadr est de retour devant la Commission militaire sur la base navale américaine de Guantanamo Bay. Il plaide coupable aux cinq chefs d’accusation qui pèsent contre lui, dont une accusation de meurtre en violation du droit des conflits armés en déclarant, notamment, qu’il a tué le sergent-brancardier Chris Speers. Ce plaidoyer et les circonstances qui l’entourent soulèvent des questions troublantes au sujet du système de commissions militaires et donnent des sueurs froides à quiconque a de l’estime pour la primauté du droit.
Omar Khadr a refusé dans le passé de plaider coupable à une accusation de meurtre, en maintenant qu’il n’avait pas lancé la grenade qui a causé la mort du sergent Speers. Par ailleurs, de nombreux juristes reconnaissent qu’hormis ses aveux obtenus sous la contrainte de traitements abusifs, le gouvernement américain ne détient pas de preuve suffisante de la culpabilité d’Omar Khadr. Ce serait l’une des raisons pour lesquelles ce dossier procède devant une commission militaire ne respectant pas les standards internationaux minima en matière de procès équitable : la preuve n’aurait pas tenu le coup devant un tribunal régulièrement constitué.
Même le procureur en chef Jonh Murphy a reconnu, lors d’une conférence de presse qui suivait les audiences du 25 octobre, que le seul témoin direct des événements de juin 2002 était le jeune Khadr lui-même. L’avocat canadien de Khadr, Dennis Edney, a pour sa part soutenu lors de la même conférence de presse que tout ce plaidoyer relevait de la fiction et que pour les avocats de Khadr, celui-ci était innocent. Pourtant, ce sont ces mêmes avocats qui lui ont conseillé de reconnaître sa culpabilité
Ce qu’il a fait ce lundi matin, en répondant « yes » à chacune des questions du juge Parrish qui lui demandait s’il avait effectivement commis les actes correspondant aux éléments constitutifs de chacune des infractions (1. meurtre en violation du droit des conflits armés, 2. tentative de meurtre, 3. conspiration, 4. support matériel à une organisation terroriste et 5. espionnage).
Que s’est-il passé ? Comment interpréter ces contradictions ? Omar Khadr est-il véritablement coupable ? D’aucuns disent qu’il n’avait pas le choix, qu’il était piégé, qu’il se dirigeait tout droit vers une déclaration de culpabilité assortie d’une sentence très sévère, la prison à vie. Il faisait face à un système conçu pour en arriver à une déclaration de culpabilité dont plusieurs des règles de fond et de procédure violent les principes les plus fondamentaux du droit américain et du droit international. La décision du président du tribunal d’admettre en preuve toutes les déclarations de Khadr obtenues à la suite de traitements cruels et inhumains l’illustrait de façon patente.
Lors de la reprise des audiences du 25 octobre, le juge Parrish s’est d’entrée de jeu penché sur une déclaration de faits qu’Omar Khadr a signée dans le cadre de l’entente qui a été négociée entre l’équipe qui assure sa défense et les autorités américaines. La défense ne s’opposant pas au dépôt en preuve de cette déclaration par la poursuite, le juge militaire avait l’obligation de s’assurer qu’Omar Khadr en comprenait les conséquences et qu’il l’avait signée volontairement.
Il devait donc dans un premier temps lui expliquer ce que signifiait être un « belligérant ennemi non-privilégié » , expression qui constitue un des éléments constitutifs de chacune des infractions retenues devant les commissions militaires, et qui exclut, par la même occasion, toute protection offerte aux combattants en vertu des Conventions de Genève. Omar Khadr a répondu qu’il comprenait et qu’il répondait à cette définition. Il a fait de même pour chacun des chefs d’accusation qui ont suivi. A-t-il lancé la grenade en juin 2002 ? « oui ». A-t-il suivi une formation d’un mois avec un groupe affilié à Al-Quaeda, groupe fondé par Oussama Ben Laden vers 1999, pour apprendre notamment à fabriquer des engins explosifs ? « oui » A-t-il effectué la surveillance des troupes américaines, relevant les numéros de plaques et les allées et venues des membres de l’armée américaine, en sachant que ces informations seraient utilisées pour causer la mort ou infliger des blessures ? « oui »…
Il a ensuite été question de l’entente, dont plusieurs détails demeureront secrets jusqu’à ce que le jury se soit prononcé sur la sentence à accorder à Khadr. Le juge Parrish a expliqué à Omar Khadr que l’entente signée entre lui et les autorités américaines aurait pour effet de limiter la sentence qui pourra être retenue contre lui. Là est l’objectif et le seul avantage que confirme l’existence d’une telle entente. Mais à quel prix ?
Le procureur en chef, John Murphy, a donné le ton en conférence de presse immédiatement après les audiences du lundi matin en déclarant que Khadr ayant volontairement admis qu’il avait collaboré avec Al-Quaeda, qu’il était un terroriste et un meurtrier, personne ne pourrait désormais plus le qualifier ni de victime, ni d’enfant-soldat. « Triomphe de l’injustice ? » « Échec de la justice ? ». En tout cas, de tel propos sont hautement contestables juridiquement : une déclaration de culpabilité, notamment si elle est obtenue dans des circonstances aussi troubles, ne peut nier les termes des traités applicables, notamment le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, signé et ratifié par le Canada et les États-Unis.
Les audiences reprendront mardi sur la détermination de la sentence. Nous en apprendrons probablement davantage sur les conséquences qu’aura ce plaidoyer de culpabilité, d’abord sur le sort d’Omar Khadr, mais également sur la réputation du système de justice d’États démocratiques et sur la règle de droit, après la présentation au jury de la déclaration des faits signée par Omar Khadr.
Au final toutefois, nous savons que la sentence qui sera imposée à Khadr ne pourra excéder la sentence maximale qui a été prédéterminée par l’entente (et qui ne sera révélée qu’après la décision du jury), quelle que soit la décision du jury. Le suspense demeure par ailleurs sur l’engagement du gouvernement canadien à accepter le transfert d’Omar Khadr après qu’il ait purgé, après huit ans de détention « préventive », la première année de sa sentence à Guantanamo.
Cet article est repris du site https://www.alternatives.ca/fra/jour...